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Berryer, le château d’Augerville-la-Rivière et Delacroix

Document à la une de juillet et août 2023

Signature de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), dans une lettre adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862.
Signature de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), dans une lettre adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862.

(Arch. dép. du Loiret, 1 J 1583)

Le 17 octobre 1862, Eugène Delacroix écrit une lettre depuis le château d’Augerville-la-Rivière. Il y est accueilli par Pierre-Antoine Berryer, avocat de métier et cousin du célèbre peintre. Il dit préférer « faire toujours la même chose, c’est-à-dire rien », transformant curieusement ce courrier en un éloge de l’oisiveté.


L’avocat Berryer

Cousin d’Eugène Delacroix, Pierre-Antoine Berryer accueille l’artiste à la santé fragile à de nombreuses reprises dans son château d’Augerville-la-Rivière. Attardons-nous rapidement sur ce personnage marquant du XIXe siècle.

"Berryer" [Pierre-Antoine Berryer, Paris 1790 - Augerville-la-Rivière 1868 ; avocat et homme politique ; en buste, de trois quarts]
"Berryer" [Pierre-Antoine Berryer, Paris 1790 - Augerville-la-Rivière 1868 ; avocat et homme politique ; en buste, de trois quarts]

(Arch. dép. du Loiret, 5 FI 258)

Portrait de Berryer, avocat et homme politique français, 1868.
Portrait de Berryer, avocat et homme politique français, 1868.

(Arch. dép. du Loiret, 4 FI 319)

Pierre-Antoine Berryer naît à Paris le 4 janvier 1790, en pleine Révolution. Comme son père, il se dirige rapidement vers le métier d’avocat. Il entre en effet au barreau à l’âge de vingt ans. En 1815, il assiste son père pour défendre le maréchal Ney coupable aux yeux des royalistes et de Louis XVIII de trahison après son ralliement à l’empereur Napoléon débarqué récemment de l’île d’Elbe. L’issue est fatale pour l’accusé. Mais pour Pierre-Antoine Berryer, c’est le début d’une carrière à succès. Parallèlement à ses nombreuses plaidoiries, il intègre progressivement le monde politique. Il est élu député de Haute-Loire en janvier 1830, juste avant la deuxième révolution qui instaura pour 18 ans la Monarchie de Juillet. Par un vraisemblable manque d’audace, il refuse des portefeuilles ministériels : garde des sceaux et Instruction publique. Royaliste et libéral, il est tout de même réélu sous la Seconde République puis sous le Second Empire, mais cette fois-ci comme député des Bouches-du-Rhône. Fidèle à ses valeurs, il traverse la forte instabilité institutionnelle de l’époque avec éloquence. Il est d’ailleurs connu pour être un orateur exceptionnel, ce qu’il dément lui-même : « Savez-vous le secret des improvisateurs ? C’est qu’ils n’improvisent pas du tout. ». Sous-entendu, son talent oratoire n’est que le fruit d’un travail sans relâche ! C’est ce travail-ci qui fait de lui un membre de l’Académie française en 1852. Une conférence, la conférence « Berryer », sorte de joute oratoire entre jeunes avocats, porte même son nom !

Sa vie dense ne peut être résumée en un seul paragraphe, tant son activité est foisonnante. Il se réserve cependant quelques moments moins tumultueux dans une propriété acquise dès 1825 : le château d’Augerville-la-Rivière.

Le château d’Augerville-la-Rivière, havre de paix

Château de Berryer, à Augerville.
Château de Berryer, à Augerville.

(Arch. dép. du Loiret, 5 FI 597)

En 1825, Pierre-Antoine Berryer achète le château d’Augerville-la-Rivière, havre de paix réservé à la culture et à l’amitié dans une vie si animée. Il reçoit nombre de personnalités connues. Son cousin Eugène Delacroix bien sûr, mais également l’écrivain Chateaubriand, le poète Alfred de Musset ou encore le compositeur Alexandre Batta. Ce château est un lieu d’insouciance, où musiques, danses et rencontres s’entremêlent joyeusement pendant quarante ans. Une échappatoire à la vie parisienne. Sentant la fin proche, l’avocat demande même à ses médecins de quitter Paris pour rejoindre Augerville-la-Rivière. Nous sommes le 10 novembre 1868. Berryer y meurt le 29 novembre, laissant derrière lui tout un amoncellement de bibelots à inventorier pour sa succession !

Extrait de l’inventaire du château d’Augerville-la-Rivière après le décès de Pierre-Antoine Berryer, 1868

L’inventaire des pièces du château, des dépendances et du parc nécessite pas moins de dix journées de travail minutieux. Chambres, antichambres, salon, buanderie, orangerie, potager. Toutes les parties de la propriété sont passées au peigne fin, tout est estimé. En vrac : cheminée prussienne, thermomètre gothique, bottes de foin, service à thé, tabatière en or ciselé avec médaillon de M. Berryer, couchette en acajou, bureau style Louis XV en acajou, table de toilette anglaise, piano carré, peinture de la duchesse de Berry (son soutien lui valut d’être traduit lui-même en justice), chaise longue, gravures sous cadre, prie-Dieu en chêne sculpté, 180 bouteilles de vin de Pommard, 1300 bouteilles vides, casseroles, ouvrages de bibliothèque, tapis, tapisserie, costume d’enfant de cœur, pendule en bronze doré de Léchopié à Paris, grande peinture de Charles X, portrait de la duchesse d’Angoulême, potiches en terre, canapé en bois peint, calorifère en cuivre, 130 bouteilles et demi-bouteilles de vins de liqueurs, commode en noyer, candélabres en bronze doré, porcelaine de sèvres, chef-d’œuvre d’ébénisterie, plan terrier de Turgot, linges de table, un âne âgé de cinq ans, deux chevaux de labour, 1500 plantes de jardins, calèches… et bien d’autres choses !

Extrait de l’inventaire du château d’Augerville-la-Rivière après le décès de Pierre-Antoine Berryer, 1868

Eugène Delacroix au repos

Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862. 1 3
Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862.

(Arch. dép. du Loiret, 1 J 1583)

Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862. 2 3
Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862.

(Arch. dép. du Loiret, 1 J 1583)

Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862. 3 3
Lettre autographe signée de Ferdinand-Victor-Eugène Delacroix, peintre (1798-1863), adressée à une "chère amie" [Joséphine de Forget] et décrivant son repos au château d'Augerville-la-Rivière, 17 octobre 1862.

(Arch. dép. du Loiret, 1 J 1583)

Transcription de la lettre

Augerville par Malesherbes (Loiret)

Le 17 oct. 1862

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Chère amie, je tiens bien tard ma promesse que je vous ai faite de vous écrire, non pas qu’il y ait ici plus de divertissements qu’à l’ordinaire ; mais la vie fainéante que je mène, les bons repas, l’exercice m’ont réduit à l’état de machine et je n’ai pu jusqu’ici me résoudre à toucher à une plume que pour des affaires indispensables. Je pense que je resterai encore jusqu’au milieu de la semaine prochaine : j’ai dans mon atelier beaucoup d’ouvrages qui me rappellent et vraiment il y a des moments où cette oisiveté me pèse un peu. On joue beaucoup le soir et comme je ne touche jamais une carte, je me trouve un peu livré à moi-même. Il y a ce bon côté, que je peux après le diner quand le temps est passable, faire des marches et

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contremarches devant le château qui font passer les diners trop succulents. J’ai eu il y a quelques jours des clairs de lune ravissants. Il y a aussi de temps en temps un peu de musique. Batta en fait d’excellente : malheureusement il n’est pas accompagné convenablement : cela le refroidit et l’empêche de jouer souvent. En somme, on me dit que j’engraisse mais je crois que c’est par politesse pour m’engager à rester un peu plus longtemps.

Si vous le pouvez écrivez moi quelques mots de votre santé et de vos occupations. Une lettre de vous sera pour moi un évènement bien agréable au milieu de cette douce monotonie qui fait que tous les jours se ressemblent ici. Le maître de la maison me montre plus d’amitié que jamais : il

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veut organiser quelques parties pour aller aux environs : Pour moi je préfère faire toujours la même chose, c’est à dire ne rien faire. Je n’ai pas même le courage de lire car je m’endors sur les livres les plus amusants : il n’y a que les journaux dont les commérages ont le privilège de m’amuser comme toujours. Je regrette bien de ne pouvoir jouer : cela ferait une grande diversion dans tant d’heures inoccupées. Mais c’est une faculté qui m’est refusée et chaque fois que j’ai voulu me révolter contre cette incapacité, j’ai été convaincu de nouveau qu’elle était radicale.

Je vous embrasse donc en attendant mon retour à Champrosay qui probablement sera bientôt suivi de mon retour définitif à Paris. Si je prends ici quelques santés, j’en referai cet hiver pour aller vous voir de temps en temps et vous

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redire tout le plaisir que j’y trouve et combien je vous suis sincèrement attaché.

E Delacroix

À la fin de sa vie, Eugène Delacroix s’évade régulièrement de Paris pour prendre du repos au château de son cousin Pierre-Antoine Berryer à Augerville-la-Rivière. En ce 17 octobre 1862, il y décrit son quotidien dans une lettre destinée à Joséphine de Forget, sa « chère amie ». Il trouve en ce château un lieu propice à la récupération. Rappelons qu’il souffre d’une maladie qui atteint ses poumons : une laryngite tuberculeuse. Il semble s’ennuyer dans cette grande bâtisse, et ce, malgré les efforts manifestes de son hôte pour lui trouver des occupations : jeux de carte, organisation « de parties » pour découvrir les environs. Delacroix admet avec franchise qu’il préfère « faire toujours la même chose, c’est-à-dire rien ». Même si cette « oisiveté le pèse », il paraît s’accommoder parfaitement de ce mode de vie sédentaire. Une simple lettre que pourrait lui adresser sa correspondante de toujours serait même qualifiée d’ « évènement » dans cette ambiance de lassitude. En somme, les mots d’ordre guidant ce séjour sont oisiveté, inoccupation et monotonie. Eugène Delacroix se repose et il en a besoin. Il décèdera quelques mois plus tard, le 13 août 1863.

La campagne, la paix, la solitude sont mêmes choses dans ma pensée

Eugène Delacroix à George Sand, 1842

Pour aller plus loin

Tous les deux mois, les Archives départementales du Loiret mettent en valeur un document extrait des fonds, présenté dans le hall du Site des archives historiques et généalogiques, 6 rue d'Illiers, Orléans. Découvrez tous les documents à la une.

Bibliographie

  • GOURDIN (Henri), Eugène Delacroix, Les éditions de Paris, 1998.

(Bibliothèque des Archives départementales du Loiret, BH O/5881)

(Bibliothèque des Archives départementales du Loiret, BH BR/1 A)

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