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Réservez votre siège au Théâtre de la place de l’Étape !

Document à la une #octobre 2024

Pour ce nouveau « document à la une », le projecteur est braqué sur une publicité du théâtre d’Orléans datée de 1904. Cette archive fait écho à l’exposition sur l’histoire d’Orléans, visible jusqu’au 6 décembre 2024 aux Archives départementales du Loiret, et illustre plus particulièrement les chapitres consacrés d’une part à l’industrialisation et d’autre part à la démocratisation des loisirs dans la ville.

UNE PUBLICITÉ POUR LE THÉÂTRE

Ce feuillet publicitaire de grand format, tiré du Journal du Loiret du 2 avril 1904, présente en haut de page les tarifs des places du théâtre d'Orléans pour la saison d'opéra. Imprimé en quatre couleurs par Auguste Gout et Cie, il comporte un schéma des sièges et le tableau de la troupe. Autour, des publicités pour des commerces locaux, comme la Quincaillerie Mousset ou les Cafés Jeanne d’Arc, s’entrelacent dans des motifs Art Nouveau.

Ce document d’archive combine deux niveaux de publicité, un procédé permettant d’optimiser l’espace et les coûts, aussi bien pour le commanditaire que pour l’imprimeur. Un feuillet similaire sur la saison de comédie est conservé aux Archives départementales (cote 4 FI 277-2).

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« Orléans », gravure, XIXe siècle.
(Arch. dép. du Loiret, 5 FI 528)
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Le théâtre d’Orléans, négatif au nitrate de cellulose, c. 1900-1920
(Arch. dép. du Loiret, 25 FI 158)

UN THÉÂTRE DEUX FOIS CENTENAIRE

À l’origine, la place de l’Étape accueillait une église du XIe siècle dédiée à Saint-Michel. En 1772, en pleine période révolutionnaire, l’architecte Benoît Lebrun en devient propriétaire et la transforme en salle de spectacle. Mais la grande sacristie réaménagée, longue et étroite, souffre de mauvaises conditions acoustiques et d'une visibilité limitée.

En 1806, faute d’entretien, le théâtre jugé dangereux ferme ses portes. Il vivote pendant la première moitié du XIXe siècle, avec des représentations médiocres, avant de fermer à nouveau en 1848. Le directeur de l’époque alerte la municipalité sur l’insalubrité du théâtre. En réponse, la ville d'Orléans acquiert l’édifice et décrète « d’utilité publique sa reconstruction ». La salle a dorénavant une forme ovoïde et présente toutes les caractéristiques d’un théâtre à l’italienne. Elle rouvre le 12 octobre 1850 devant une foule enthousiaste.

Jusqu'en 1900, une douzaine de directeurs se succède à la tête du théâtre. Cette même année, la création d'une troupe fixe composée de comédiens parisiens et l’arrivée de Michel Chabance à la direction marque le début de l'âge d'or de l'établissement. Des pièces modernes, parfois avant-gardistes, attirent un public nombreux, tout comme l’art lyrique. Cependant, la Première Guerre mondiale et la concurrence de l’Alhambra, salle en vogue à Orléans, marquent un déclin pour le théâtre, avec des saisons de qualité décroissante.

La ville décide de prendre en main la responsabilité financière de la salle, alors dirigée par des directeurs indépendants. Elle engage de nouveaux travaux afin d’insuffler une nouvelle ardeur au théâtre, comprenant la modernisation de l’installation électrique, l’augmentation de la capacité d’accueil et des améliorations de sécurité pour les spectateurs. L’inauguration aura lieu le 10 novembre 1935.

Au fil des années, le théâtre de la place de l’Étape subit de nombreux dommages. L'affaissement du sol de la rue Guillaume Prousteau, autrefois adjacente au théâtre, fragilise le bâtiment, provoquant l'effondrement d'une partie du magasin à décors. Les bombardements anglo-américains de mai 1944 détruisent également une partie l'édifice. Après la guerre, une nouvelle phase de travaux est lancée, mais le théâtre peine à répondre aux attentes des Orléanais.

Dans les décennies qui suivent, plusieurs projets d’aménagement ou de reconstruction sont envisagés sans aboutir. Finalement, la municipalité opte pour la construction d’un nouveau théâtre, le Carré Saint-Vincent, inauguré en 1975 sur le boulevard Alexandre Martin. En 1979, le vieux théâtre de la place de l’Étape est démoli, afin de construire le nouvel Hôtel de Ville, ne laissant que sa façade intacte. La rue Guillaume Prousteau disparaît également au cours de ces transformations.

🔎 Le saviez-vous ?

Benoît Lebrun (1754-1819) était un architecte et homme politique français, surtout connu pour ses démolitions controversées de monuments historiques après la Révolution française. Arrivé à Orléans en 1783, il a joué un rôle important dans l’aménagement urbain de la ville, contribuant notamment à la construction de la manufacture de coton de la Motte-Sanguin et à l’agrandissement du quai du Châtelet. Toutefois, son héritage reste marqué par la destruction de plusieurs monuments, comme l’église Saint-Michel et l'abbaye de Fleury. Il meurt à Châteauneuf-sur-Loire en 1819, laissant derrière lui un mélange de transformation urbaine et de pertes patrimoniales.

Vue de la rue Guillaume Prousteau avant sa disparition et vues intérieures de l'ancien théâtre d'Orléans, place de l'Étape, avant sa démolition en 1979, photographies, années 1970. (Arch. Dép. du Loiret, Clichés vue 9415, 9417-9419, 9422)

RÉSERVEZ VOS PLACES !

Le plan de location du théâtre d’Orléans reflète l’organisation des places après la rénovation de 1850, inspirée des théâtres à l’italienne. Loges pour notables, orchestre pour les spectateurs aisés, stalles et balcons pour les mondains, et galeries pour la bourgeoisie et les classes populaires dessinent la hiérarchie sociale du Second Empire, encore perceptible au début du XXe siècle — même si des salles de cinéma ouvrent à cette époque en province, notamment à Orléans, avec des tarifs d’entrée uniformes.

Des abonnements, qualifiés ici d'« abonnements civils », semblent être destinés aux citoyens ordinaires, par opposition aux militaires ou aux fonctionnaires. Valables pour douze représentations, ces abonnements sont personnels et non fractionnables. Curieusement, le programme n’est pas précisé dans cette publicité, sans doute en raison de la popularité des spectacles lyriques, qui attirent un public fidèle habitué à réserver le jour même sans connaître le programme. De même, la réservation par téléphone est mentionnée sans numéro, ce qui laisse penser que les habitués le connaissaient par cœur ou préféraient se rendre en personne à la billetterie.

La réservation par téléphone a pu susciter des réactions vives parmi les clients. Le 1er octobre 1943, un lecteur du Républicain Orléanais se plaint :

« Au moment précis où s’ouvre le guichet, le téléphone commence à retentir. Ce sont d’autres clients, des clients invisibles, mais fort exigeants qui demandent des places. Ceux-là, sans autre peine que de décrocher leur récepteur et sans même quitter leurs pantoufles, viennent souffler les meilleures places au nez de ceux qui ont la constance de faire le pied de grue au vent de la place de l’Etape. »

Dans la première moitié du XXe siècle, le théâtre de la place de l’Étape reste donc un lieu incontournable du divertissement à Orléans, attirant toutes les couches de la société, même dans le sombre contexte de l’Occupation.

📣 Michel Chabance réinvente le théâtre d’Orléans

En 1904, Michel Chabance est à la tête du théâtre d'Orléans. Son nom apparaît en lettres rouges sur la partie supérieure de notre document. Metteur en scène talentueux et habile administrateur, il apporte un nouveau souffle au théâtre d’Orléans. Il s’inspire pour cela du Théâtre-Libre, mouvement parisien de 1887 prônant une mise en scène réaliste et met en lumière des auteurs naturalistes comme Émile Zola. De 1900 à 1906, il enchaîne des saisons à succès avec des représentations jouées à guichet fermé.

Après son passage à Orléans, il poursuit une brillante carrière en dirigeant les théâtres d’Angers et de Saumur, avant d'être appelé sur les grandes scènes parisiennes. Sa femme, Madeleine Bray, une comédienne talentueuse et très appréciée, fait partie de la troupe du théâtre d'Orléans et apparaît en tête d'affiche dans le répertoire dramatique.

LA BELLE ÉPOQUE DES COMMERÇANTS ORLEANAIS

Cette publicité illustre le dynamisme économique d’Orléans à la Belle Époque. Parmi les 14 encarts publicitaires, 12 concernent des boutiques de secteurs variés, en plus d’un dentiste et un cabinet de pédicure. Nous avons presque sous les yeux une cartographie des rues les plus commerçantes de la ville johannique. Les rues de la République et du Tabour sont les plus citées (trois fois chacune), suivi de près par la rue Royale (deux fois). Les boutiques mentionnées à ces adresses n’existent plus aujourd’hui. Seule la Pharmacie Centrale d’Orléans, autrefois sise au 16, place du Martroi, se situe aujourd’hui rue de la République.

La presse, moyen de communication très répandu en 1904, offre aux commerçants une formidable opportunité pour fidéliser leur clientèle et développer les ventes. Ce marketing avant l’heure fait preuve d’une grande inventivité. Chaque annonce cherche à se démarquer à travers des typographies originales : remarquons les lettres en gras, hachurées et en relief de l’électricien « M. Tresel » ou encore les tirets rayonnants autour de la « VEUVE MAGNUS & FILS », qui n’est pas sans évoquer les touches des pianos vendus par cette famille. Les fioritures florales qui séparent les mots et les phrases dans les annonces ajoutent à l’esthétique typique de l’époque.

Mais ce sont surtout les formules accrocheuses qui témoignent de l’effervescence économique. La Librairie du Loiret, par exemple, souligne par deux points d’exclamation qu’elle propose « les dernières nouveautés en cartes postales !! ». La boutique de chaussures Vacquet se proclame « la plus importante Maison d’Orléans, la mieux assortie, le meilleur marché de la région ». Avec des succursales « dans toutes les villes du monde », la maison Singer vante ses machines comme étant « les meilleures et les plus perfectionnées ». Le bijoutier Klaas Pander n’est pas en reste, offrant « le plus grand choix – le meilleur marché », tandis que sa Chrono-pander, en lettres grasses et rouges, est « la reine des montres ». Et nous en lisons encore d’autres… Cet ensemble de formules aguicheuses et de superlatifs reflète parfaitement l’essor commercial de l’époque.

Publicités pour le magasin de peinture Henri Gault, le magasin de chaussures Angenault et la quincaillerie Maison Mousset placardées sur le mur d'un immeuble, impression photomécanique, [années 1898-1940].
(Arch. dép. du Loiret, 11 FI 5184)

Ce document témoigne de la vitalité économique et culturelle d’Orléans au début du XXe siècle. Il met en lumière l'intérêt des Orléanais, toutes classes sociales confondues, pour les comédies et l'art lyrique, et leur attachement au théâtre de la place de l’Étape. De plus, il souligne l'importance de la presse comme puissant vecteur de communication, tout en mettant en avant l'ingéniosité des commerçants dans la promotion de leurs produits et services, à une époque où se dessinaient les premières formes de marketing moderne. Ce document capture ainsi un moment clé de l’évolution commerciale et sociale de la ville.

📖 Bibliographie

- CENAT Éric et PELLETIER Jacques, « L’ancien théâtre d’Orléans », in Bulletin de la société archéologique et historique de, l’orléanais, tome XIII, n°103, juin 1994
- GRENIER Jacques, Histoire des salles de spectacle orléanaises. Du théâtre de 1793 aux cinémas de 1966, Impr. Du Bourdon Blanc, 1967
- Un spectacle sous forme de procès fictif pour Benoît Lebrun, La République du Centre, in www.larep.fr
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